Désistement : à quel moment la période pour le dépôt d’un privilège en construction intervient-elle ?

par Andrew D. Delmonico and Ted Lewis

English

Andrew D. Delmonico

Les entrepreneurs savent que lorsqu’un chantier est terminé au sens où l’entend la Builders Lien Act1 (Loi sur le privilège dans la construction), ils n’ont que 45 jours pour déposer une demande d’exécution de privilège contre la propriété pour laquelle ils faisaient les travaux en question.  Mais ce qui est moins connu, c’est que la période de 45 jours pour le dépôt d’un privilège s’enclenche aussi dans les cas où un entrepreneur général se désiste d’un contrat ou d’un chantier.  En outre, selon la Builders Lien Act, un chantier peut être légalement réputé avoir fait l’objet d’un désistement au bout de trente jours pendant lesquels aucuns travaux n’y ont été exécutés, à moins que des causes précises n’interviennent comme un lockout, la maladie, les intempéries, une injonction du tribunal ou une pénurie de matériaux. 

Ted Lewis

La question du moment où un contrat fait l’objet d’un désistement dans le cadre de la Builders Lien Act a été examinée récemment dans l’affaire Cannex Contracting 2000 Inc. c. Eagle Ridge Land Sales Corp., 2019 BCSC 62

Les faits

Dans cette affaire, la partie défenderesse est le promoteur d’un projet de lotissement dans Cranbrook. Le promoteur avait retenu les services du plaignant comme entrepreneur général.  Selon le contrat général, l’entrepreneur devait fournir des services d’ingénierie, les matériaux, la main-d’oeuvre, les outils et les équipements nécessaires pour la mise en valeur et le lotissement de la propriété de Cranbrook. 

L’entrepreneur a commencé les travaux à l’été de 2016 et a présenté trois factures au promoteur en 2017. Le promoteur a contesté plusieurs articles de la troisième facture, produite en octobre 2017. Il a aussi signalé des défauts d’exécution dans les travaux de l’entrepreneur. 

Après le début du différend, les employés et les sous-traitants de l’entrepreneur ont continué à exécuter des travaux sur le lotissement. Ces travaux étaient associés en partie du moins à des tâches non physiques, et notamment la gestion, la coordination et l’administration du chantier. Et il s’agissait non pas de travaux concentrés en un seul lieu, mais de travaux dispersés çà et là. 

Si les discussions entre les parties ont continué après le début du conflit, le règlement des sommes controversées n’a pas été exécuté par le promoteur et l’entrepreneur a déposé une demande de privilège le 21 mars 2018.  Le promoteur a alors résilié le contrat le 8 juin 2018, et s’en est remis aux tribunaux pour faire casser la demande de privilège déposée par l’entrepreneur. Selon le principal argument du promoteur, l’entrepreneur n’avait pas exécuté de travaux sur le chantier depuis le 31 octobre 2017, ce qui signifiait que le contrat était visé par un désistement 30 jours plus tard, soit le 30 novembre 2018.  Selon le promoteur, la période prévue pour le dépôt d’une demande de privilège se serait terminée 45 jours après cette date, soit le 14 janvier 2019. 

Le jugement 

Dans ses motifs, le tribunal s’est dit en désaccord avec le promoteur et a refusé de casser le privilège de l’entrepreneur, faisant remarquer que si le chantier peut être réputé, c’est-à-dire présumé, avoir fait l’objet d’un désistement selon la Builders Lien Act dans les cas où aucuns travaux n’ont été exécutés pendant 30 jours, le législateur n’avait pas pour intention de faire prévaloir cette disposition au détriment des faits qui prouvent que les parties se proposaient bel et bien de poursuivre les travaux de construction. 

Suivant ce principe, le tribunal a jugé que, malgré les différends sur la question de la facturation, l’entrepreneur a continué les travaux du chantier jusqu’à ce que le promoteur résilie le contrat.  La nature des travaux de l’entrepreneur était telle qu’il n’était pas nécessaire qu’ils soient exhaustifs ou très concentrés pour valoir pour tels, et que la Builders Lien Act n’envisage que les situations où vraiment aucuns travaux n’ont été effectués. 

En l’espèce, les faits indiquent que les parties n’avaient pas l’intention de considérer le contrat comme faisant l’objet d’un désistement, et ce même si aucuns travaux n’avaient été exécutés. Bien qu’il y ait eu des différends sur le paiement et des lacunes au niveau des travaux, les deux parties se sont comportées comme si elles envisageaient toujours l’exécution complète des 

Leçons à tirer

1. C’est dans les 45 jours suivant un désistement que la demande d’exécution de privilège doit être déposée.  Le moment auquel le chantier est présumé faire l’objet d’un désistement dépend des circonstances de chaque cas.  

2. Si aucuns travaux n’ont été exécutés sur un chantier pendant 30 jours, il se peut que le chantier ou le contrat en question soit réputé avoir fait l’objet d’un désistement pour les fins de la Builders Lien Act. Cependant, il est possible d’éviter qu’un chantier ne soit réputé avoir fait l’objet d’un désistement ; il suffit pour cela que des travaux mineurs continuent d’y être exécutés. ▪

Le présent article a été rédigé par Andrew D. Delmonico et Ted R, Lewis, avocats qui travaillent dans le domaine du droit de la construction au cabinet Kuhn LLP.  L’information qu’il contient constitue simplement un guide et ne s’applique pas forcément à tous. Il est essentiel que vous consultiez un avocat qui examinera votre cas particulier. Pour toute question ou observation sur le cas présenté ici ou sur toute autre cause juridique liée à la construction, n’hésitez pas à communiquer avec nous au 604.864.8877 (Abbotsford) ou au 604.684.8668 (Vancouver).

Le lecteur québécois comprendra que la présente traduction française a été établie dans le contexte du régime de la common law et qu’il doit consulter un juriste pour procéder aux adaptations exigées le cas échéant par le droit civil québécois.