Contrats-types et modifications mystérieuses

par Matthew T. Potomak and / et Jeremy S. Koch

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Matthew T. Potomak

Les entrepreneurs comprennent généralement l’importance de contrats écrits pour leurs projets de construction et de rénovation.  Les contrats-types comme ceux que propose le Comité canadien des documents de construction (CCDC) sont particulièrement utiles s’ils sont employés correctement.     

En effet, il faut éviter de recourir aveuglément aux contrats-types, qui ne correspondent pas forcément aux attentes réelles des parties en question.  De plus, il faut en supprimer les clauses qui ne s’appliquent clairement pas à la situation, sinon on risque gros, comme le prouve l’affaire récente Anway Construction Ltd. c. Hunte, 2020 BCSC 601.  

Les faits

Dans cette cause, les propriétaires, qui constituent la partie défenderesse, ont retenu les services du plaignant, Anway Construction Ltd., pour démolir leur maison à Vancouver (Colombie-Britannique) et en construire à la place une nouvelle qui soit efficace sur le plan énergétique, à la façon des maisons passives.  

Les parties ont passé une entente écrite et ont employé pour ce faire le contrat-type CCDC 3 -1998 – contrat à prix coûtant majoré – qui comprend une option de marché à coût maximum garanti.  Quand cette option intervient dans le contrat, elle fixe effectivement le prix maximal qui peut être facturé pour le marché en question.  Cependant, comme Anway n’a apparemment jamais établi de prix pour ses travaux, rien n’a été précisé pour le prix maximum garanti. 

L’institution qui finançait le prêt, en l’occurrence la BMO, insistait pour obtenir une copie du contrat signé comportant l’estimation du prix total de la construction. Étant donné qu’il manquait encore beaucoup de détails sur le projet, les parties n’avaient discuté jusque là que d’estimations générales.  

Quand la BMO a reçu copie du contrat signé qui ne décrivait pas les coûts estimatifs prévus, elle a communiqué avec les propriétaires pour les informer qu’elle ne pourrait pas fournir de financement si les coûts prévus du chantier restaient inconnus.  

Pour une raison qu’on s’explique mal, la BMO a mis la main sur une copie du contrat qui citait la somme de 925 000 $ dans la case « marché à coût maximum garanti ».  Fait intéressant à noter, la seule copie du contrat présentée au procès qui citait le coût maximum garanti était celle dont disposait la BMO.

Anway a donc démoli la vieille maison et a commencé la construction de la nouvelle, mais ne l’a pas terminée. Après avoir eu quelques problèmes de financement et versé près d’un million de dollars à Anway, les propriétaires ont refusé d’en payer davantage, affirmant que le contrat citait un prix maximal garanti de 925 000 $, en conséquence de quoi Anway a abandonné le chantier et a réclamé le prix des travaux qui avaient été exécutés. 

En fin de compte, Anway a intenté une poursuite contre les propriétaires pour les factures impayées, pour un total de 132 989,37 $.  Les propriétaires ont riposté avec une poursuite contre l’entrepreneur pour la somme de 1,46 million de dollars pour les coûts liés à l’embauche d’un autre entrepreneur chargé de terminer les travaux de construction et pour d’autres dommages-intérêts. 

Le jugement 

Le gros du travail du tribunal a consisté à examiner la question de savoir si, comme les propriétaires le soutenaient, un prix maximum garanti avait été cité dans le contrat.   

D’après les propriétaires, Anway leur a communiqué verbalement le prix maximum de 925 000 $.  Anway a nié cette affirmation et a précisé qu’il n’avait jamais fourni de prix fixe.  

En procédure sommaire, aucune des deux parties n’a voulu admettre qu’elle avait ajouté la modification.  Il a été impossible de réconcilier les éléments de preuve pour établir la façon exacte dont le chiffre de 925 000 $ est apparu sur la copie du contrat conservée dans les dossiers de la BMO. 

Après avoir examiné toute la preuve, le tribunal a établi que ce devait être un employé d’Anway qui avait envoyé le contrat modifié à la BMO. 

Le tribunal a conclu que le prix maximal garanti était de 925 000 $ et qu’Anway contrevenait au contrat en facturant aux propriétaires une somme supérieure au prix maximal garanti. Le tribunal a donc rejeté l’argument d’Anway et a tranché en faveur des propriétaires et contre Anway pour la somme de 836 944,03 $.

Leçons à tirer

  1. Il faut être prudent quand on emploie des contrats-types et s’assurer qu’ils correspondent exactement au genre de projet envisagé et qu’ils sont conformes aux pratiques établies.  Dans le doute, il y a lieu de demander un avis juridique avant de signer. 
  2. La pratique normale veut que les modifications manuscrites portent les paraphes des deux parties. Bien que, dans cette affaire, le tribunal ait conclu que la modification manuscrite était valide malgré l’absence des paraphes des deux parties, ce ne sera pas toujours forcément le cas dans d’autres causes. La présence de paraphes pour les modifications manuscrites ajoute à la clarté de la situation et contribue à éviter les différends. 
  3. Si une modalité du contrat ne s’applique pas, il convient normalement de la supprimer ou de la raturer clairement au complet et de la faire parapher par les deux parties.  Il est risqué de laisser des parties du contrat en blanc. ▪

Le présent article a été rédigé par Matthew T. Potomak, avocat, et Jeremy S. Koch, stagiaire, qui travaillent dans le domaine du droit de la construction au cabinet Kuhn LLP.  L’information qu’il contient constitue simplement un guide et ne s’applique pas forcément à tous. Il est essentiel que vous consultiez un avocat qui examinera votre cas particulier. Pour toute question ou observation sur le cas présenté ici ou sur toute autre cause juridique liée à la construction, n’hésitez pas à communiquer avec nous au 604.864.8877 (Abbotsford) ou au 604.684.8668 (Vancouver).

Le lecteur québécois comprendra que la présente traduction française a été établie dans le contexte du régime de la common law et qu’il doit consulter un juriste pour procéder aux adaptations exigées le cas échéant par le droit civil québécois.