Cinq leçons stratégiques pour les entrepreneurs spécialisés dans le monde de l’après-COVID

par / Geza R. Banfai • Conseiller, McMillan s.r.l.

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Toute pandémie est une chose terrible à vivre — et une occasion qu’il serait terrible de manquer.

Au milieu des bouleversements et des souffrances, l’industrie a aussi eu des occasions de réaliser des adaptations positives, ne serait-ce que parce qu’elles nous ont été imposées par des circonstances dont personne ne voulait et auxquelles peu de gens s’attendaient. 

Il y a lieu ici de faire le point et de tenir compte des leçons utiles que nous avons apprises. En voici cinq :

1. Le contrat fait foi. Vraiment.

Quand la COVID a frappé et que les responsables de projets ont dû, du jour au lendemain, améliorer les mesures de sécurité en chantier et faire face à la menace d’arrêts de travail, ils se sont demandé qui allait payer pour ça et ce qu’il adviendrait des échéanciers. Leurs contrats, qu’ils avaient sans doute lus superficiellement, voire pas du tout, prenaient soudainement une importance nouvelle.

Parmi les clauses examinées figuraient celles auxquelles on accorde ordinairement peu d’attention, et notamment les clauses sur les cas de force majeure.  Selon la pratique habituelle, les parties à un contrat partagent le risque lié à des événements indépendants de leur volonté : le propriétaire supporte le retard causé par l’événement perturbant et l’entrepreneur en éponge les coûts. Bien que cela puisse être raisonnable dans un cas isolé, l’entrepreneur peut avoir de la difficulté à assumer ces coûts si c’est l’ensemble de son portefeuille de contrats qui est touché, et une répartition différente du risque peut être adéquatement négociée. Quelle que soit la répartition du risque dans les cas de force majeure, le fait est que ce risque est maintenant réel et non plus simplement théorique et qu’il mérite une sérieuse réflexion.  

Ce n’est qu’un exemple qui illustre un principe souvent négligé : le contrat comprend plus que les éléments normaux et attendus de la relation entre les parties. Il sert aussi à faire face aux imprévus et c’est parfois d’ailleurs sa fonction la plus utile.  

2. Un risque non compris est un risqué non géré.

Parmi les coûts associés à la crise sanitaire, il y a les frais directs et faciles à établir, comme les coûts de l’équipement de protection individuel. Toutefois, il peut y en avoir d’autres, moins évidents, mais tout aussi importants : la  perte de productivité attribuable aux exigences en matière de distance physique ou à un accès restreint à l’ascenseur de chantier, et l’impact sur l’échéancier à cause de perturbations de l’approvisionnement en matériel.

Les entrepreneurs sont passés maîtres dans l’art d’évaluer le risque. La crise nous a enseigné une leçon importante : cet exercice d’anticipation des éventualités est parfois plus complexe qu’on pourrait le croire et même les hypothèses habituelles, notamment le fait de tenir pour acquis que la main-d’œuvre requise sera sûrement disponible et que les matériaux et fournitures nécessaires pour exécuter le travail arriveront à temps, peuvent ne pas toujours se vérifier. Il est maintenant nécessaire de creuser davantage au moment d’évaluer les risques possibles et d’en tenir compte concrètement, c’est-à-dire de leur attribuer une valeur, de les atténuer ou de veiller à ce qu’ils soient supportables.

3. L’argent liquide est encore roi.

Tout choc généralisé perturbe ordinairement le flot monétaire normal vers la base de la pyramide de la construction ; c’est bien ce qu’on a constaté dans notre industrie avec la pandémie. Pour l’entrepreneur spécialisé au bas de la chaîne, cela peut être dévastateur. D’habitude, pour un projet donné, c’est lui qui a les obligations les plus importantes en matière de paie et elles ne peuvent pas être suspendues. En outre, l’entrepreneur spécialisé est directement tributaire de contrats d’approvisionnement en matériel pouvant prendre fin instantanément s’il ne paye pas les factures.

La crise a fait ressortir l’importance de maintenir une solide réserve de liquidités et de percevoir l’argent dû en temps opportun. En Ontario, par un heureux hasard, les entrepreneurs spécialisés ont été quelque peu aidés par le régime de paiement rapide et d’arbitrage mis en œuvre par la Loi sur la construction juste avant l’éclosion de covid. Cette initiative sera sûrement imitée dans d’autres provinces dans un avenir qu’on espère rapproché à cause des récents événements.

4. Faire des concessions mutuelles reste sage.

Avec l’arrivée subite de la COVID-19, les intervenants de l’industrie se sont trouvés face à un ennemi commun qui les a unifiés, du moins momentanément. Le mot d’ordre a alors été le suivant : « Parlez à vos partenaires contractuels, soyez ouverts avec eux et faites des compromis raisonnables pour sauvegarder les projets et les entreprises. »

Ce nouvel état d’esprit est le bienvenu dans une industrie où l’on se soucie trop souvent uniquement de son intérêt personnel, quoi qu’il advienne, lorsque l’inattendu se produit durant l’exécution d’un projet de construction. Bien qu’il soit satisfaisant de s’en tenir par principe à ses droits juridiques stricts, c’est une piètre stratégie à avoir maintenant si elle doit se solder plus tard par l’échec d’un projet. La pandémie nous a fait entrevoir une perspective globale qu’il ne faudrait pas perdre de vue après un retour à une situation plus normale.

5. Il faut consolider le savoir acquis.

Tout au cours de l’année dernière, chacun de nous s’est posé la question de savoir si notre vie reviendrait un jour à ce qu’elle était avant la crise sanitaire. Nous ferions sans doute mieux d’espérer que non !

En effet, s’il est vrai que la COVID-19 a profondément bouleversé notre vie, elle a aussi entraîné des changements salutaires dans nos méthodes de travail et notre vision globale du monde. Et nous ne parlons pas ici simplement de devenir des experts des réunions Zoom.  Non, nous parlons surtout de toutes les manières nouvelles et différentes dont nous avons appris à travailler les uns avec les autres tant au sein de nos structures organisationnelles que dans l’ensemble du secteur. À cela, il faut ajouter une plus grande appréciation pour notre entreprise et nos relations personnelles, et un sens plus affiné de la fragilité des choses.

Il est utile de réfléchir à cela et de faire le nécessaire à l’intérieur de nos organismes pour continuer sur notre lancée au cours des mois et des années à venir. Il convient d’institutionaliser le savoir acquis et de l’incorporer dans la culture de nos entreprises et la culture générale de l’industrie.

En vérité, cela est sans doute la plus importante de toutes les leçons stratégiques que nous ayons pu tirer de l’année écoulée. ▪