Secrets fatals

La santé mentale dans le secteur de la construction

Mark Breslin

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par / Mark Breslin

Dans un secteur si soucieux de sécurité, il semble ironique, sinon ridicule, de demander à des gens de porter leurs lunettes protectrices alors qu’ils envisagent peut-être le suicide — et pourtant, personne ne parle de santé mentale et psychologique au travail.

Cette réticence qui existe dans les organismes et chez les particuliers à être honnête avec soi-même ou avec les autres a une incidence grave sur la sécurité et le bonheur dans la vie privée et professionnelle. En outre, la tendance de la plupart des organismes et des dirigeants à faire fi de ces craintes en milieu de travail a un impact important, et des études très convaincantes le confirment maintenant. En effet, le secteur de la construction présente des taux élevés en matière de suicides, mais également dans les catégories suivantes :

  • abus d’opioïdes et toxicomanie
  • dépression
  • anxiété
  • problèmes de maîtrise de la colère
  • problèmes apparentés

De plus, après un an de stress pandémique, beaucoup sont plus à bout que jamais. Pourquoi notre industrie ne peut-elle pas prendre du recul et envisager l’employé dans sa totalité en tant que personne ? Pourquoi est-il si honteux pour les travailleurs de la construction d’admettre qu’ils éprouvent des difficultés ?

Sans doute craignent-ils :

  • de paraître faibles,
  • d’être vulnérables,
  • d’être rejetés,
  • d’être jugés,
  • d’échouer et donc de ternir leur image de soi et d’écorcher leur amour-propre.

Afin de surmonter ces craintes secrètes, les gens doivent se sentir en sécurité. La sécurité pour et avec tous contribue à tisser des liens qui aident à se dépasser, à prendre des risques et à faire confiance. Ces liens leur permettent aussi d’être vrais et de donner le meilleur d’eux-mêmes aux autres et dans leur milieu de travail. C’est essentiel pour apprendre, encadrer, guider et guérir.

Mortenson, entreprise proactive et avant-gardiste qui compte parmi mes clients, s’est attaquée à cette situation de manière admirable. Elle a créé un Toolbox Talk, qui contient des informations à jour axées sur les métiers et qui sont fournies par les chefs de projet, afin que les membres des équipes aient accès à des renseignements importants ; et cet outil met l’accent sur la santé mentale dans le contexte des contraintes liées à la COVID. Les chefs d’unités de travail ont déclaré n’avoir jamais reçu de commentaires aussi positifs des travailleurs sur le terrain, en plus de 20 ans, pour une initiative qu’ils avaient présentée. Des récits concernant les employés, leurs conjoints et leurs enfants se sont mis à déferler. La compagnie a été époustouflée par la réaction obtenue. Chose plus importante encore, ses dirigeants se sont attiré le respect du personnel parce qu’ils ont simplement montré qu’ils se souciaient de lui.

Dans bon nombre d’entreprises de construction, sinon la majorité, cette volonté de favoriser le bien-être des employés à la source est inexistante. Ce point de vue n’est pas valorisé comme il se devrait. Au lieu de cela, on s’attend à ce que les employés encaissent si bien qu’il finit par régner un désespoir muet parmi eux ou pire encore — tout le monde se rend compte des problèmes, mais personne ne sait pas quoi faire ou dire. 

Beaucoup de dirigeants des milieux de la construction acceptent cet état de choses parce que c’est ce à quoi ils sont le plus habitués.  Or, ceux qui manifestent courage et clairvoyance font en sorte de réagir de manière encourageante, sécurisante et empathique. Les messages communiqués sont les suivants :

  • Nous vous acceptons et ne vous jugeons pas.
  • Si vous éprouvez des difficultés, vous n’êtes pas les seuls.
  • Il existe des ressources pour ceux d’entre nous qui ont des difficultés à surmonter.
  • J’ai été dans vos souliers et je sais ce à quoi vous faites face.
  • Nous sommes là pour vous.

Il peut être difficile à des dirigeants d’accorder la priorité au mieux-être et au soutien émotionnels. Ça ne semble pas aider à payer les factures et pourtant ce point de vue est passablement ancien. Je ne saurais trop insister là-dessus : se soucier des gens importe et rapporte.

En mes 30 ans de leadership organisationnel, j’ai tout vu chez les travailleurs : de l’angoisse, de graves problèmes de santé, des mariages qui se désagrègent, des dépressions, des situations financières qui se détériorent, des toxicomanies et plus encore. J’ai vu tout cela dans ma propre famille élargie et je suis certain que c’est aussi votre cas.  J’estime qu’il m’appartient de créer un environnement favorable au dialogue (et non au repli sur soi) et de fournir des ressources et des coordonnées d’experts à tous ceux qui en ont besoin. Cela est simplement conforme aux valeurs de leadership auxquelles je crois. Tout le monde est humain et chacun a ses propres batailles à livrer.

Voici trois manières de favoriser le mieux-être émotif et psychologique dans votre milieu de travail :

  1. Donnez l’exemple dans la façon dont vous gérez vos émotions, dans votre comportement et dans vos interactions.  Un leader qui se montre authentique, vulnérable et empathique suscite des sentiments de loyauté et du soutien en retour. Il se crée par conséquent un climat d’ouverture et de confiance qui permet aux gens de venir à vous. Être soi-même à son meilleur, quoi qu’en pensent les autres, est un véritable atout. S’ouvrir aux autres leur permet de faire de même.
  2. Communiquez de l’information sur les ressources existantes. Parlez de santé mentale. Munissez-vous de votre Toolbox Talk. Envisagez de fournir des ressources supplémentaires. Mortenson, le client entrepreneur que j’ai mentionné, a aussi acheté des abonnements à Joyable, une appli en santé mentale, pour des milliers d’employés qui peuvent l’utiliser de façon anonyme. Veillez à ce que vos employés aient une personne fiable à qui s’adresser dans votre compagnie. Renseignez-vous sur ce qui est disponible auprès de votre association ou de vos partenaires syndicaux, et informez-en vos employés.
  3. Évitez les compromis, les justifications ou l’absence de réactions face à tout comportement autodestructeur au sein de votre équipe. La plupart du temps, nous (en particulier les chefs d’unités de travail) le constatons et sommes trop mal à l’aise pour intervenir. Par ailleurs, il m’est arrivé à quelques reprises dans ma vie de me sentir abattu et épuisé. La plupart des membres de mon équipe l’ont facilement constaté et ont serré les rangs autour de moi pendant quelques mois. Je leur en suis à ce jour incroyablement reconnaissant et suis sorti de l’expérience avec plus de loyauté et de respect envers eux que jamais.

Faites-le pour vos employés, non pas parce qu’ils vous font gagner de l’argent, mais parce que c’est la chose à faire et que quelqu’un doit agir. Ne pas intervenir, c’est laisser tomber son équipe et se laisser tomber soi-même aussi. Ce type de sécurité n’a rien à voir avec le port de lunettes protectrices ni avec le fait de fléchir les genoux pour soulever des objets. C’est de la vie même des employés qu’il s’agit.

Qu’est-ce qui fait une personne, une famille ou un enfant en santé ? Qu’est-ce qui les aide à croître et à s’épanouir comme ils le devraient ? Oui. La même chose : la santé et le bien-être psychologiques et émotionnels. Le temps et les efforts qu’on y consacre en valent la peine, même dans notre secteur, connu pour sa rudesse ! ▪

Mark Breslin, auteur, conférencier, p.-d. g. et influenceur, met ses services à la disposition d’organismes et de particuliers pour aider au changement à tous les niveaux de l’entreprise, améliorant ainsi la qualité du  leadership, de la responsabilisation, de l’innovation et de la mobilisation. Il s’est adressé à plus de 400 000  personnes et a vendu des centaines de milliers d’exemplaires de ses ouvrages sur le leadership et la culture en milieu de travail. Pour plus de renseignements sur son parcours, consultez le site www.breslin.biz.