Perspectives de la construction au Canada pour 2022

L’évolution de la crise sanitaire suscite de l’espoir chez les experts du secteur de la construction, mais les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement demeurent

par / Robin Brunet

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Ce n’est pas un secret qu’en 2020 et en 2021 la demande latente et la mise en place rapide de protocoles sanitaires contre la covid dans le secteur de la construction ont donné lieu à une activité intense partout au Canada, et que les travailleurs du secteur, dont le nombre s’établit à 1,4 million d’après l’Association canadienne de la construction (ACC), sont restés actifs malgré tout, comptant pour environ 141 milliards de dollars de rentrées économiques.

Maintenant que l’on parle d’une situation endémique plutôt que pandémique, la demande est plus forte que jamais.  Sean Strickland, directeur général des Syndicats des métiers de la construction du Canada (SMCC), fait remarquer que « le secteur de la construction connaît des niveaux d’emploi stables dans la plupart des régions du pays.  Plusieurs grands chantiers en arrêt avaient été reportés en raison de la pandémie, et nous nous attendons d’être très occupés ce printemps avec la reprise de ces projets ».

D’après un rapport de GlobalData intitulé Construction in Canada – Key Trends and Opportunities to 2025, le secteur devrait croître de 2,5 pour cent à l’échelle nationale grâce à des investissements dans l’énergie renouvelable, le logement, l’eau et des projets d’infrastructure en télécommunications. Les crédits du gouvernement contribueront à la croissance : en effet, Ottawa a prévu dix milliards de dollars pour l’énergie propre, l’irrigation et les projets de large bande qui, à eux seuls, devraient créer 60 000 emplois. Il va aussi investir 14,9 milliards de dollars dans des projets de transport en commun au cours des huit prochaines années. 

Mais les défis liés aux restrictions covid imposées par les gouvernements demeurent, et notamment les pénuries dans la chaîne d’approvisionnement et les retards de livraison. « Malheureusement, il n’existe pas de solution rapide à ces problèmes », affirme Ian Cunningham, président du Council of Ontario Construction Associations. 

En décembre, à la demande des médias, la présidente de l’ACC, Mary Van Buren, a présenté ses prévisions pour 2022 et a indiqué que les pénuries dans la chaîne d’approvisionnement et l’accélération de l’inflation entraîneraient une relance en mode catapulte ou en arrêt et discontinuité

Selon cette dernière, « pratiquement tous les matériaux, du bois à l’acier, ont augmenté de prix.  L’instabilité des coûts des matériaux de construction et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement affectent les budgets, les estimations et les soumissions. Le secteur doit examiner de près et avec attention les éléments à optimiser pour améliorer les résultats, et notamment se pencher sur la modernisation du processus d’appels d’offres ».

« Nous devons aussi réduire les retards dans l’adjudication des contrats et régler le problème de l’augmentation des coûts de sorte que le sous-traitant n’ait pas à faire les frais de la hausse vertigineuse des prix des matériaux. »

Les pénuries de main-d’oeuvre inquiètent sérieusement HUB Assurance Construction.  Dans son document Perspectives 2022 sur l’industrie de la construction, l’organisme décrit toute l’envergure du problème et fait remarquer que si beaucoup de secteurs concurrents pour la main-d’oeuvre (transports et entreposage) avaient récupéré en août 2021 la totalité des emplois perdus à cause des restrictions liées à la covid, le secteur de la construction n’avait toujours pas réussi à récupérer 20 pour cent des emplois perdus.

Selon Perspectives, « d’ici 2030, le travailleur canadien de la construction aura en moyenne 42 ans, et les jeunes ne se pressent pas pour travailler dans la construction. Au cours de la prochaine décennie, les entreprises devront recruter près de 310 000 travailleurs de la construction pour remplacer ceux qui partent à la retraite et répondre à la demande. Un rapport estime que l’industrie pourrait manquer de 81 000 travailleurs d’ici 2030 ».

La grande question, c’est de savoir comment régler la pénurie.  « C’est un problème qui affecte tous les corps de métier, selon M. Cunningham.  La seule solution immédiate, c’est l’immigration : il faut persuader des travailleurs étrangers de venir au Canada — et c’est difficile. À plus long terme, nous devons changer notre image et nous écarter de l’opinion qui veut que la construction soit du sale boulot pour non-spécialisés. Il faut au contraire faire connaître la réalité des choses, à savoir que le secteur est hautement technologique et que les tâches exigent des travailleurs très spécialisés. »

Les mesures favorisant l’inclusivité sont considérées comme un moyen d’attirer du sang neuf, et plus précisément les femmes.  Les SMCC indiquent que les femmes ne représentent que quatre pour cent de l’effectif de la construction au Canada alors que dans l’armée et les services policiers, elles comptent pour plus de 15 pour cent. Afin de réduire l’écart, les SMCC, par leur programme Bâtir ensemble, les femmes dans les métiers de la construction, promouvoient, soutiennent et encadrent les femmes dans les corps de métier et ont élaboré des stratégies de recrutement et de maintien en poste en conséquence.

Dans la même veine, la Canadian Association of Women in Construction, organisme sans but lucratif, propose un plan quinquennal visant à encourager les femmes à faire carrière dans le secteur de la construction.  Ce programme fait appel à d’autres associations pour la tenue d’ateliers, de conférences et de réunions, et vise en premier lieu la clientèle des établissements d’enseignement secondaire en plus des universités et des collèges.

Par ailleurs, les SMCC, poursuivant leurs efforts de promotion en 2022, vont faire valoir l’importance de la mobilité de la main-d’oeuvre spécialisée puisque, selon les régions et les moments de l’année, les possibilités d’emploi varient. Cela dit, si les vendeurs, les professionnels et d’autres catégories de travailleurs peuvent obtenir des déductions d’impôt pour les frais liés à leurs déplacements professionnels selon la Loi de l’impôt sur le revenu du fédéral, « les travailleurs spécialisés actifs sur des chantiers dans des régions ou des provinces autres que celles de leur résidence primaire n’ont pas cette possibilité », signale M. Strickland.

« Dans les lettres de mandat récentes du premier ministre, la question de la mobilité de la main-d’oeuvre a été évoquée et reprise dans les lettres de la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, et du ministre du Travail, Seamus O’Regan. Les SMCC travaillent d’arrache-pied à obtenir, dans le prochain budget du gouvernement, une déduction d’impôt en faveur des travailleurs spécialisés appelés à se déplacer. »

Toujours dans le domaine de l’emploi, selon M. Strickland, « nous continuons de travailler avec le gouvernement pour investir dans des chantiers de rénovation industrielle et commerciale : par exemple, des réseaux régionaux d’énergie propre comme ceux de la Boucle atlantique et le réseau électrique est-ouest.  Le réseau électrique est-ouest prévoit une nouvelle infrastructure électrique qui permettrait à la Colombie-Britannique de vendre de l’électricité à l’Alberta ». 

La Colombie-Britannique produit environ 93 pour cent de son énergie à partir de sources renouvelables alors que l’Alberta fait appel au charbon pour à peu près 55 pour cent de ses besoins en énergie.

Enfin, même si certains analystes pensent que la croissance économique sera limitée en 2022 au Canada, M. Cunningham affirme : « Nous travaillons à plein régime depuis des années, et on s’entend pour dire que la croissance se situera autour des deux ou trois pour cent cette année — et cela suffira à stimuler notre secteur. » ■