C’en est fini de l’abus contre les apprentis !

Mark Breslin

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par Mark Breslin

« Je ne peux pas croire que je me suis laissé embarqué dans ce genre de m****. »

C’est ainsi que commence le récit d’une litanie d’inepties, de décisions à courte vue et d’habitudes malheureuses qui reflètent une culture à la dérive et le gaspillage des efforts de formation des apprentis.

Oui, c’est bien ainsi qu’un jeune homme me raconte son expérience à la fin d’un exposé que j’avais présenté à 400 jeunes en apprentissage organisé par un syndicat.  Pendant ma conférence, j’ai posé une question que je pose depuis plus de dix ans, et ce sont plus de 100 000 gens de métier associés à un syndicat qui l’ont entendue : « Combien parmi vous, pendant votre apprentissage, avez été l’objet d’initiations, de plaisanteries, d’insultes, ou avez eu à exécuter du travail inutile, ou avez été ignorés, ou n’avez pas reçu les instructions nécessaires de l’employé chargé de votre cas parce qu’il craignait de perdre son emploi ? »  Et dans cet auditoire, comme dans les 200 précédents, c’est bien 95 % des mains qui se sont levées lentement.

Oui, c’est bien cela.  Quatre-vingt-quinze pour cent.  En 2022. Pas en 1970 ni en 1990. Aujourd’hui. Maintenant.

Le jeune homme en question est venu me voir après l’exposé.  Il a attendu que tout le monde soit parti.  Il me dit qu’il a l’expérience du leadership militaire.  Il en a vu et en a fait plus qu’aucun autre de ses collègues apprentis.  Il s’est joint à un syndidat et à un apprentissage pour faire partie d’une équipe qu’il aurait à coeur – mais c’est une expérience entièrement différente qu’il a vécue.

Au nombre des épisodes qu’il relate, il cite le fait d’avoir été humilié, le fait de n’avoir reçu que peu ou pas d’encadrement ni d’instruction, le fait d’avoir été témoin d’insultes proférées contre de ses pairs (bien que lui n’ait pas été insulté, car son regard décourage ce genre de comportement) et le fait de voir des ouvriers qui font un travail médiocre être traités avec plus d’attention et de respect parce qu’ils sont copains avec le contremaître.  Faire partie de l’équipe, c’est seulement pour les cas où il est amusant de maltraiter le type en bas de l’échelle.

Voilà donc l’avenir de notre secteur.  Le candidat idéal qui s’inscrit exactement pour les bonnes raisons et qui a tout pour réussir… mais qui a mis deux ans seulement pour passer de l’enthousiasme et de la motivation à « Je ne peux pas croire que je me suis laissé embarqué dans ce genre de m**** ».

L’habitude qui consiste à maltraiter et à dénigrer les apprentis doit cesser immédiatement.  Et ce sont les entrepreneurs en premier lieu — et les syndicats en deuxième — qui doivent changer les choses.  L’actuelle cohorte d’apprentis doit être la dernière à avoir souffert d’un système d’apprentissage qui se sert de cette méthode idiote pour former les jeunes travailleurs. C’est une pratique exercée par des personnes insécures qui en ont elles-mêmes souffert. Mais c’en est fini maintenant.

Je connais des gars de l’ancienne école qui me diront que si vous n’avez pas la carapace suffisamment épaisse, ne devenez pas apprenti ; que si vous ne pouvez pas encaisser, pas la peine d’essayer de vous joindre au groupe.  Je ne suis pas d’accord.  La formation des travailleurs, ce n’est pas une question de bizutage et d’abus.  La formation, c’est faire acquérir de la confiance, c’est faire acquérir des compétences et de la motivation par du mentorat, des conseils et de l’encadrement.  Mais ce n’est pas toujours le comportement courant dans un secteur qui s’enorgueillit de sa ténacité et de son indépendance.  Je sais que beaucoup diront aussi que les milléniaux sont mous et qu’ils ont été gâtés à outrance. Si cette opinion peut être vraie en partie, cela ne justifie pas pour autant le piètre comportement des ouvriers dont les prestations de retraite seront un jour payées par ces mêmes apprentis.

J’aurais trois solutions à proposer pour remédier à la situation — la première destinée au personnel chargé de la formation des apprentis, la deuxième aux entrepreneurs et la troisième aux dirigeants syndicaux — pour que toutes les parties impliquées jouent désormais un rôle constructif.

Tout d’abord, il faut donner aux apprentis une image exacte de ce qui les attend.  Il ne faut pas nier que cela fera partie de leur expérience.  Dans mon livre Survival of the Fittest (et surtout dans le cahier d’exercices qui l’accompagne), je présente des comportements en jeux de rôle auxquels les groupes peuvent peut se livrer et dont discuter.  Prenez dix minutes à la fin des cours pour faire ces jeux de rôle.  Observez et voyez comment les choses se déroulent. Comment l’apprenti reçoit-il les séances d’initiation ? Comment réagit-il s’il se fait dire de ralentir ? De quelle manière s’y prend-il pour demander de l’aide ou du mentorat ? Comment devrait-il imposer le respect en milieu de travail ?  Il ne s’agit pas là de compétences techniques, mais des aptitudes à la survie en milieu de travail dont tout apprenti a besoin pour passer au travers avant un changement de culture.

Deuxièmement, les entrepreneurs doivent fixer les limites : si un employé maltraite, bizute ou abuse d’un apprenti, il est congédié.  On s’attend des contremaîtres qu’ils forment les apprentis ou, à tout le moins, qu’ils les mettent sous la direction d’un ouvrier qui soit en mesure d’en mettre en valeur le plein potentiel.  Les entreprises doivent oublier l’idée selon laquelle les apprentis sont une main-d’oeuvre à bon marché aux compétences limitées et commencer à les former dans l’optique d’en faire les leaders et les travailleurs de demain.  Le changement des mentalités doit précéder le changement des comportements.

Enfin, les syndicats peuvent aider en défendant les apprentis et en leur offrant cette camaraderie dont les syndiqués jouissent d’entrée de jeu.  La meilleure part dans les métiers, ce n’est pas l’argent.  Ce sont les collègues, et le travail et la satisfaction de faire quelque chose qu’on estime important. De partager avec les autres et de voir comment ça se passe au quotidien, quand tout le monde se soutient, voilà le plus important. Tous les syndicats d’Amérique du Nord pourraient avoir un prix du mentor de l’année pour l’ouvrier qui se démarque comme formateur des apprentis. Il faut que ça se sache et qu’on en parle dans les salles syndicales et dans les bulletins d’information.  Il faut ramener l’esprit de fraternité (et de sororité) dans les milieux syndicaux.

Bref, le temps est venu de changer.  Ce ne sont pas tous les apprentis qui vont réussir à passer au travers ; nous ne dirigeons pas, en effet, un service de garderie.  Si l’apprenti n’est pas animé par le désir et la passion du métier, sans doute devrait-il ou elle s’orienter vers un autre domaine. Mais aux hommes et aux femmes qui deviennent nos apprentis et qui nous offrent les 25 prochaines années de leur vie – la sueur de leur front – il nous faut donner davantage. Et le moment est venu de passer à l’action. ■