Pris au dépourvu

par Liam M Robertson, Kuhn LLP

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Le cas récent de Wolverine Construction Inc. c Trisura Guarantee Insurance Company, 2023 BCSC 405, illustre une situation courante, dans laquelle il a été jugé qu’un sous-traitant n’avait pas droit à être indemnisé en vertu d’un cautionnement pour le paiement de la main-d’œuvre et des matériaux.

Les faits :

Le différend opposait Wolverine Construction Inc. (« Wolverine ») à Trisura Guarantee Insurance Company (« Trisura »).

Le 25 avril 2019, le district de Peace River District et Frontline Civil Holdings Ltd. (« Frontline ») ont conclu un contrat portant sur la fermeture d’un site d’enfouissement et la construction d’un système de gestion des déchets (le « projet »).

Trisura (la « caution ») a émis un cautionnement pour le paiement de la main-d’œuvre et des matériaux nécessaires à la réalisation du projet, dans lequel la société Frontline était désignée comme débiteur principal. Selon ce cautionnement, Trisura et Frontline étaient responsables à hauteur d’un montant maximum de 714 386,53 $, aux conditions suivantes :

Dans le cadre du présent cautionnement, le demandeur désigne toute personne ayant conclu un contrat directement avec le débiteur principal pour de la main-d’œuvre, des matériaux ou les deux, utilisés ou raisonnablement requis dans l’exécution du contrat…

Le débiteur principal et la caution conviennent par les présentes, conjointement et solidairement avec le bénéficiaire, en tant que fiduciaire, que si un demandeur n’est pas payé en vertu de son contrat avec le débiteur principal… il pourra intenter une action en justice en vertu du présent cautionnement… et poursuivre cette action jusqu’à jugement final…

Frontline a commencé les travaux, mais en juin 2019, elle s’est retrouvée en difficulté financière. Elle a alors fait appel à Wolverine pour l’aider dans ce projet, mais le 19 septembre 2019, Frontline a été déclarée en faillite.

La problématique

Le 31 janvier 2020, Wolverine a signalé à Trisura et au district de Peace River que Frontline ne s’était pas acquittée de la somme de 476 048,14 $. Wolverine réclamait donc le paiement de ce montant, majoré des intérêts, en vertu du cautionnement.

Trisura s’est refusée à effectuer un versement quelconque à Wolverine, car la société n’avait produit aucune preuve établissant qu’elle avait un contrat avec Frontline ou qu’elle répondait par ailleurs à la définition de « demandeur », conformément au cautionnement.

Pour le tribunal, la seule question qui se posait était de déterminer si Wolverine pouvait être considérée comme « demandeur » au sens du cautionnement. Cela dépendait du fait que Wolverine ait conclu ou non un contrat directement avec Frontline pour de la main-d’œuvre ou des matériaux, ou les deux, et que ceux-ci soient raisonnablement requis dans l’exécution dudit contrat entre Frontline et le district de Peace River.

Le jugement :

En résumé, le tribunal a estimé que Wolverine n’avait pas conclu de contrat avec Frontline pour la fourniture de marchandises et de matériaux destinés au projet dans des conditions telles que la responsabilité du coût des marchandises et matériaux en question incombe à Frontline.

Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal s’est appuyé sur plusieurs principes afin de déterminer l’existence d’un contrat dans lequel Wolverine et Frontline stipulaient leur intention de faire affaire et s’étaient accordées sur les conditions essentielles de ce contrat.

L’argument de Wolverine, selon lequel un contrat avait été préparé et accepté par les parties, était irrémédiablement en contradiction avec le fait que, lors de la divulgation de la preuve, la société avait déclaré à deux reprises ne pas savoir si un contrat avait été finalisé.

De plus, le tribunal a estimé que diverses factures ne comblaient pas le manque de preuves, pour les raisons suivantes :

a. il n’y avait aucune preuve que Wolverine eut adressé des factures quelconques à Frontline;

b. la date des factures laissait penser qu’elles avaient été établies à des fins autres que facturer les services réalisés ou les matériaux fournis à Frontline; 

c. certaines factures avaient probablement été préparées à l’intention du district de Peace River, et non de Frontline; et

d. les factures avaient été établies après que Frontline eut été déclarée en faillite.

Le tribunal a également estimé qu’il y avait des preuves irréfutables que Wolverine avait repris le projet dans l’intention de réaliser les travaux requis par l’entrepreneur principal, plutôt que d’intervenir en tant que sous-traitant de Frontline. 

Les enseignements tirés :

Les deux leçons pouvant être tirées de cette affaire sont les suivantes :

  1. Dans le cadre d’un projet faisant l’objet d’un cautionnement, les entrepreneurs doivent vérifier, dès le début des travaux, s’ils sont admissibles en vertu de toute garantie d’exécution du projet ou de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux applicable; et
  2. les entrepreneurs doivent s’assurer que tout contrat concernant la main-d’œuvre ou les matériaux est dûment documenté et que toutes les conditions pertinentes, et en particulier les conditions de paiement, sont clairement définies et acceptées.▪

Cet article a été rédigé par Liam M. Robertson, avocat exerçant le droit de la construction au sein du cabinet Kuhn LLP. Cet article est uniquement destiné à fournir une orientation et ne prétend en aucun cas couvrir toutes les situations. Pour les situations particulières, il est important d’obtenir un avis juridique. Si vous avez des questions ou commentaires sur cette affaire ou d’autres questions relatives au droit de la construction, veuillez nous appeler au 604 864-8877 (Abbotsford) ou au 604 684-8668 (Vancouver).

Le lecteur québécois comprendra que la présente traduction française a été établie dans le contexte du régime de la common law et qu’il doit consulter un juriste pour procéder aux adaptations exigées le cas échéant par le droit civil québécois.