Relations

Par / Steve Clayman

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Steve Clayman

J’en ai le cerveau qui me fait mal ! Partout, le spectre du coronavirus ! Impossible à ignorer, et pour cause. Nous devons prendre toutes les précautions nécessaires pour empêcher la propagation de cette maladie, mortelle pour certains. Tout comme les épidémies et les pandémies du passé, celle-ci connaîtra aussi une fin.

Thucydide, historien qui a vécu à l’époque de la Grèce antique, mentionne dans ses écrits un fléau qui a fait mourir le tiers environ de la population d’Athènes en l’an 430 avant notre ère. La grande peste qui a frappé Londres en 1665 a tué environ 7 000 personnes en une semaine. Toronto a connu une épidémie de choléra en 1832. Mes parents étaient des bambins lorsque la grippe espagnole est apparue en 1918 — terrassant 500 000 personnes. Si l’on ajoute à cela d’innombrables guerres et crises financières, le passé ne nous paraît pas très réjouissant.

Collectivement, nous sommes une espèce robuste. Nos ancêtres ont survécu à ces événements catastrophiques. Que pouvons-nous faire pour nous soutenir mutuellement ? À l’ère du coronavirus, quel est le taux de survie des entreprises dans notre domaine ?

Au moment où j’écris ces lignes (fin de mars), d’innombrables entreprises se trouvent fermées. Les gens des métiers du bâtiment font pression pour que les chantiers de construction ferment également. Cela pourrait très bien se produire et le cauchemar qui s’ensuivra sera désastreux pour plusieurs milliers de travailleurs et d’entreprises de la construction. Des villes se préparent à un confinement total. À la lumière de l’expérience d’autres pays, nous savons à quoi cela peut ressembler.

Imaginez l’effet qu’un confinement aura sur les fabricants, les distributeurs et les entrepreneurs de notre industrie, ainsi que sur le flux de trésorerie, les banques, le règlement des factures. Si les travailleurs sont contaminés, qui va fabriquer les produits, conduire les camions et installer l’isolant à tuyau ? Même si aucun membre de la famille n’est contaminé, il y a des enfants dont il faut s’occuper à la maison parce que les écoles sont fermées. Malheureusement, des entreprises membres de l’ACIT pourraient ne pas survivre à la pandémie. 

Le secteur des distributeurs me semble être le plus vulnérable. En effet, ces entreprises se trouvent comme coincées entre leurs clients entrepreneurs et les fabricants. La grande question qui se pose, c’est celle de savoir qui sera payé.  Trop d’entrepreneurs attendent d’être payés pour payer leurs fournisseurs. Autant dire que le distributeur devient la banque. Les fabricants ont des conditions de crédit strictes et, dans le passé, certains ont cessé d’expédier leurs produits aux distributeurs qui n’avaient pas réglé leurs factures. Certes, quelques fabricants acceptent de « s’arranger » avec des distributeurs importants, mais  combien de temps cela peut-il durer ?

J’ai entendu des entrepreneurs dire qu’ils s’en fichent si un distributeur ferme boutique, parce qu’il y en aura toujours un autre chez qui s’approvisionner. Si un entrepreneur omet de payer son distributeur, un autre distributeur se fera un plaisir de lui faire crédit. C’est la norme, non seulement dans notre industrie, mais dans beaucoup d’autres.

Quand un, deux ou même trois distributeurs sont obligés de fermer dans une région, qu’est-ce qui arrive alors ? Quels choix les entrepreneurs ont-ils ? Le recours à des sources en ligne est-il une solution ? Pas si l’on considère les tâches que les distributeurs assument au quotidien. Si l’entrepreneur a besoin d’une boîte de ruban adhésif, il en trouvera chez son distributeur. Si l’entrepreneur doit modifier une commande parce qu’on lui demande subitement de commencer à travailler dans une autre partie d’un bâtiment qui nécessite des tuyaux de tailles différentes, son distributeur peut s’adapter à ces changements. Si l’entrepreneur a besoin de recevoir une livraison à 5 h du matin parce que c’est le seul moment de la journée où un ascenseur se trouve disponible, le distributeur peut s’arranger. Les services fournis par les distributeurs sont très particuliers et tenus pour acquis.

Il y a quelque temps, des entrepreneurs que je connais ont décidé de contourner leur distributeur et de commander de l’isolant à tuyau directement auprès des fournisseurs en Chine. Ils allaient ainsi faire des économies énormes et auraient recours au distributeur local pour les menus articles. Évidemment, le fournisseur chinois ne vendait le produit que par conteneur entier et exigeait un paiement intégral d’avance. Le délai de livraison était de plusieurs semaines. Les entrepreneurs ont foncé. 

Les conteneurs sont arrivés. Les sections d’isolant à tuyau étaient toutes emboîtées les unes dans les autres pour économiser de l’espace et des cartons pliés à plat étaient inclus. Il a fallu passer du temps à faire le tri, à tout mettre dans les boîtes et à indiquer les tailles sur celles-ci. Ensuite, la cargaison a dû être entreposée. Oh, et le fournisseur n’avait envoyé aucun sac de ces rouleaux de ruban de scellement Butt-Tape auxquels les entrepreneurs ont pris goût. Mais ce n’est pas tout ! Contre toute attente, l’isolant à tuyau s’est avéré non conforme aux exigences canadiennes. Les entrepreneurs peuvent toujours retourner un produit aux distributeurs. Dans ce cas-ci, bonne chance ! Trois ans plus tard, ces entrepreneurs avaient toujours ce stock sur les bras.  Quelle leçon !

Les fabricants pourraient-ils vendre directement aux entrepreneurs ? Sur le plan logistique, cela serait presque impossible. Les fabricants sont organisés pour produire et expédier des cargaisons de camions de 53 pieds. Quels entrepreneurs voudraient conduire 800 kilomètres (500 miles) ou plus pour aller chercher des matériaux et que feraient-ils s’ils avaient besoin de substituts ? Ils n’auraient pas d’autres choix.

Les distributeurs sont le maillon qui fait toute la différence entre un processus rentable et un processus déficitaire. Ils sont le cœur et les poumons de l’industrie de l’isolation mécanique. Demandez-vous simplement comment les entrepreneurs feraient pour fonctionner sans un accès presque immédiat à une multitude de produits et de services.

Le temps est venu de raviver et ranimer nos relations. Tôt ou tard, le coronavirus disparaîtra et nous nous remettrons au travail. Nous sommes tous logés à la même enseigne. Un secteur ne peut fonctionner efficacement sans l’autre. Rentabilité n’est pas un gros mot. L’époque où un secteur en attaquait un autre devrait être révolue. Il doit être possible de travailler ensemble, dans un environnement concurrentiel, certes, mais d’une manière qui n’entraîne pas de difficultés financières, qui ne débouche pas sur des installations de piètre qualité ou qui ne suscite pas d’animosité. Le respect de ce que font les autres est déjà un bon point de départ. Nous avons besoin les uns des autres pour faire marcher le système et pour assurer la viabilité de tous.  ▪