Un nouveau visage pour la construction

C’est le moment idéal d’élaborer un système de recrutement et de maintien en poste des gens de métier qui soit accueillant pour les groupes sous-représentés.

par / Sandra Skivsky
Chair with National Trade Contractors Coalition of Canada / Présidente de la Coalition nationale des entrepreneurs spécialisés du Canada

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Depuis quelques années, partout au pays, un nombre croissant d’initiatives visent le recrutement de personnes des groupes sous-représentés — en fait, la plupart des programmes des gouvernements fédéral et provinciaux renferment une quelconque stipulation à cet effet. Cet état de chose, allié à d’importants changements de la demande et du profil démographique canadien, aide à créer des conditions optimales pour réinventer le système de recrutement, de formation et de soutien aux employeurs, et ce dans l’optique d’orienter les groupes sous-représentés vers les métiers.

Le premier élément à considérer concerne la demande de travailleurs de la construction au cours de la décennie qui vient. Cette industrie doit remplacer 22 p. 100 de la main-d’œuvre existante (260 000 personnes) à cause des départs à la retraite et acquérir 65 000 travailleurs de plus pour répondre à la demande grandissante. La COVID-19 a porté un coup dur et bien que la formation se poursuive, c’est à capacité réduite et les échéanciers en souffrent. Manifestement, les voies traditionnelles de l’industrie de la construction vers les métiers ne suffiront pas pour répondre à la demande; ce secteur doit donc élargir et simplifier le processus d’accès aux métiers.

Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral annonçait un investissement de 470 millions de dollars sur trois ans, à compter de 2021-2022, afin qu’Emploi et Développement social Canada (EDSC) établisse un nouveau service de soutien à la formation d’apprentis. Celui-ci aiderait 55 000 apprentis de première année dans les métiers de la construction et de la fabrication désignés Sceau rouge à trouver des débouchés dans les petites et moyennes entreprises.

Dans le cadre de ce programme, les employeurs pourraient recevoir jusqu’à 5 000 $ pour chacune de leurs occasions d’apprentissage de première année pour payer les coûts initiaux, tels que les salaires et la formation. Afin d’accroître la diversité dans les métiers de la construction et de la fabrication désignés Sceau rouge, cet incitatif serait doublé jusqu’à 10 000 $ pour les employeurs qui embaucheraient des personnes de groupes sous-représentés, notamment les femmes, les Canadiens racialisés et les personnes qui ont un handicap.

Dans le cas de certains projets, les avantages communautaires et l’embauche de travailleurs appartenant à des groupes sous-représentés font partie des obligations contractuelles; cependant, il est souvent difficile de trouver dans ces groupes des personnes ayant la formation nécessaire pour commencer immédiatement à travailler. L’inclusivité doit être accrue à l’étape du recrutement ou de la formation, afin qu’il y ait des travailleurs qualifiés dans tous les groupes. Il faut donc modifier et élargir les processus à l’entrée et examiner d’abord les obstacles à ce niveau. Une fois formés, les travailleurs qualifiés seraient embauchés indépendamment de leur sexe ou de leur ethnicité — la difficulté consiste d’abord et avant tout à entrer dans les métiers.  

 Les écoles primaires et secondaires sont les meilleurs endroits où commencer à promouvoir les métiers comme choix de carrière par une familiarisation avec ceux-ci et une mise en contact avec le secteur; l’idée est que les élèves (lorsqu’ils sont prêts) aient accès à des employeurs et à une formation plus poussée. Il ne suffit pas d’avoir un atelier de menuiserie dans une école secondaire; les jeunes doivent être en contact avec le secteur par l’entremise d’employeurs, de centres de formation et de syndicats pour passer d’élèves d’atelier à apprentis inscrits. L’échantillon d’écoliers pouvant participer à ces programmes serait représentatif de la population scolaire et non limité à ceux déjà en contact avec le secteur. En outre, ces élèves pourront prendre des décisions éclairées au moment de passer à l’étape suivante et de s’engager dans un métier, parce que celui-ci leur sera familier. 

Pour qu’un système d’apprentissage soit efficace, il doit pouvoir attirer les jeunes vers les métiers. D’après Statistique Canada, le nombre d’apprentis inscrits en Ontario, tous métiers confondus, était en hausse constante entre l’an 2000 et l’année 2010, mais oscille depuis sans indiquer de croissance soutenue.

Après la période de récession du milieu des années 90, durant laquelle de nombreux programmes d’apprentissage ont fermé, il y a eu une forte revitalisation du système d’apprentissage au début des années 2000; cette croissance est attribuable à une combinaison de facteurs : la nécessité de répondre à une demande croissante et de combler les lacunes créées lorsque la formation était limitée et une réaction à une promotion intensifiée des métiers comme choix de carrière viable. Toutefois, cette croissance a cessé et il faut maintenant élaborer de nouvelles stratégies.

Cela veut dire qu’il faut réduire au minimum les entraves à l’entrée. De nombreuses études ont examiné les obstacles à l’entrée dans les programmes d’apprentissage et cerné les suivants : le manque de sensibilisation ou d’orientation vers les métiers, le manque de soutien à la formation et à l’embauche de la part des employeurs (parce que les apprentis étaient considérés comme un coût), et le préjugé voulant que l’apprentissage soit du travail de dernier recours. Parallèlement à des pratiques peut-être non inclusives pour les immigrants, les femmes et d’autres groupes minoritaires, cela a eu un impact. En fait, la majorité des apprentis s’est engagée dans les métiers sur la recommandation de membres de la famille, d’amis ou de voisins, ou par l’entremise d’un programme d’emploi, et non en raison de leurs intérêts ou de leurs aptitudes. Par conséquent, des gens ne terminent pas leur apprentissage ou cessent tôt d’exercer leur métier; une meilleure initiation aux métiers est donc nécessaire.

Pour commencer, la formation doit être continue et ne pas être suspendue durant les replis du marché. Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, la formation en apprentissage au Canada a chuté au milieu des années 90 à cause du ralentissement économique. Pendant quelques années, la formation a été reléguée au second plan. Vingt-cinq ans plus tard, nous subissons encore les conséquences du fléchissement en matière de formation, car la main-d’œuvre du secteur est privée d’une partie d’un groupe d’âge. Les travailleurs manquants sont les compagnons qualifiés expérimentés de 45 à 50 ans qui seraient les contremaîtres, les superviseurs de chantier ou les chefs d’équipe, ou qui seraient peut-être devenus des évaluateurs ou des gestionnaires de projet. 

Il est très difficile de compenser la perte d’occasions de formation en apprentissage. Même s’il y avait une liste d’attente pour la formation, il y a une limite au nombre d’apprentis de première année que le secteur peut accueillir. Qu’il s’agisse de la taille des équipes, des ratios, des règles de sécurité, des niveaux de productivité nécessaires ou des coûts, tout peut ralentir le rythme auquel les apprentis deviennent des compagnons. Manifestement, certaines de ces pratiques devront changer si le secteur de la construction veut rester concurrentiel dans les années à venir. 

Les programmes de formation doivent produire des candidats prêts à travailler et faciliter la participation des employeurs. Vu que le secteur va connaître un nombre croissant de départs à la retraite, il y aura moins de travailleurs expérimentés ou qualifiés pour encadrer les apprentis et l’on comptera davantage sur le système de formation pour produire des apprentis prêts à travailler et capables de progresser rapidement. Afin que ce processus soit efficace et fructueux, les employeurs doivent accepter des apprentis et prendre part à la formation. L’époque où les employeurs trouvaient aisément des travailleurs possédant les compétences nécessaires, ou pouvaient les « débaucher » auprès d’autres entrepreneurs, touche rapidement à sa fin. L’apport des employeurs importe également pour que la formation satisfasse aux besoins du marché.

Considérons ces deux extraits d’un rapport de recherche rédigé par Andrew Sharpe et James Gibson, intitulé « The Apprenticeship System in Canada : Trends and Issues » [Le système d’apprentissage au Canada : tendances et enjeux] et publié par le Centre d’étude des niveaux de vie en 2005 : 

« De l’avis général, mieux faire connaître le système d’apprentissage se traduirait par une hausse des taux d’inscription, en particulier chez les jeunes. Selon une Enquête sur les programmes de formation des apprentis inscrits réalisée en 1994-1995, près de 40 % des participants à ces programmes n’étaient pas au courant de l’existence de tels programmes lorsqu’ils fréquentaient l’école secondaire. » [Traduction]

« Le rendement du système d’apprentissage, considéré comme un mécanisme d’insertion professionnelle, est fortement restreint par son manque d’intégration dans le système éducatif et par l’inaction des corps de métier à se faire valoir indépendamment. » [Traduction]

Vous pouvez vous demander pourquoi je regarde un rapport qui date de plus de dix ans et des données d’il y a plus de 20 ans. C’est parce que ces observations pourraient encore s’appliquer aujourd’hui et pas seulement au Canada. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Australie sont tous en train de considérer où ils en sont, où ils ont besoin d’être et comment ils vont y parvenir. Il est temps que nous fassions de même. ▪